Résilience alimentaire et sécurité nationale, la conférence riche d'enseignements de Stéphane Linou
Renforcer le système alimentaire local, structurer les filières en travaillant sur l'amont (la production) et en aval (les consommateurs, les cuisiniers....), amplifier la transition écologique, sensibiliser à l'agriculture et aux enjeux alimentaires, soutenir les transmissions, aider à l'installation... Depuis de nombreuses années le Parc du Perche travaille à la résilience du territoire. Aujourd'hui, toutes ces initiatives sont regroupées dans le cadre du PAT qu'il coordonne. Le 30 mai, suite à l'atelier de rupture alimentaire (article précédent), il avait programmé une conférence autour de cette thématique de résilience alimentaire et sécurité nationale. Animé par Stéphane Linou, ce rendez-vous public a fait écho à toutes les actions menées localement, en y apportant un éclairage nouveau et des pistes de réflexions. Retour en mots et en images sur cette journée riche en enseignements.
Découverte des énergies « faciles »
« Avant, nous dépendions de notre territoire environnant. Le coût de transport était supérieur au coût des produits : nous étions obligés de produire localement car importer coûtait trop cher. Pour cela, nous étions obligés de connaître notre territoire et ses ressources et si nous voulions une production pérenne, nous étions obligés de le préserver. Puis nous avons découvert les énergies fossiles, les énergies “faciles”, denses et à bon marché, nous permettant de nous affranchir de nos territoires, et nous avons oublié l'espace et contracté le temps. Nous avons fait venir de loin des ressources que nous ne faisions pas venir jusque-là car elles coûtaient plus chères et nous sommes entrés dans la théorie des avantages comparatifs de David Ricardo (économiste Britannique) : si le transport ne coûte rien, les territoires se focalisent sur les productions sur lesquelles ils sont le plus performants et délaissent les autres productions ». Ce qui amène, comme nous le vivons, à une hyper spécialisation agricole des territoires : « 98 % de ce qui se trouve dans notre assiette provient d’autres régions et d’autres pays et 97 % de ce que l’on produit part vers d’autres régions et d’autres pays » 1 source en bas de page.
« La nourriture arrive, on ne sait pas comment »
C'est ainsi que l'on s'est désintéressé de notre territoire nourricier. Pourtant, toute l'histoire de l'humanité, jusque dans les années 50-60, s'est construite autour de cette « préoccupation première ». On savait, on répertoriait où étaient les compétences, les savoir-faire, les semences, le matériel... Et l'on sécurisait le foncier en conséquence. « Les sociétés s'organisaient autrefois autour de la pénurie. Les édiles, les anciens maires en quelques sortes, organisaient la vie de leur cité autour de quatre sécurités. Ils devaient sécuriser la cité contre les invasions, garantir la sécurité intérieure à travers l'ordre public, garantir la sécurité sanitaire (contre les épidémies) et ils étaient aussi attendus sur la sécurité alimentaire pour préserver la population des famines. Il y avait des systèmes alimentaires partout car on n'avait pas le choix. On organisait la vie autour du risque de pénurie alimentaire, l'abondance était l'exception. Aujourd'hui, c'est l'inverse, nous avons construit un système autour de l'abondance. Nous ne sommes pas en sobriété, nous sommes en ébriété. Nous sommes comme sous perfusion. La nourriture arrive on ne sait pas comment, et comme si c’était une question réglée, on ne se pose plus la question » Et pourtant, quand on sait que, comme l'affirme le conférencier « l’autonomie alimentaire de nos territoires est en moyenne de 2 %... » et que « 70 % des foyers s'approvisionnent dans les grandes surfaces, celles-ci n'ayant que deux à trois jours de stocks...», il est légitime de s'interroger : que se passerait-il s’il y avait une rupture de la chaîne d’approvisionnement alimentaire ? C'est-à-dire si l'arrivée de nourriture dans nos territoires était rompue, paralysée ?
Pour Stéphane Linou, la question n'est pas tant de se demander si cela arrivera mais plutôt quand. Et il est évident que dès lors, le “continuum sécurité défense” serait saturé, de l’agent de sécurité de magasin jusqu’à l’armée, tous les services seraient surchargés, débordés, la sécurité intérieure et nationale seraient impactées. La non résilience alimentaire est en ceci intimement liée à la sécurité nationale.
Plan communal de sauvegarde, PAT… des solutions existent
Pour autant, malgré une démonstration préoccupante et sans proposer une autonomie alimentaire de 100 % ou l’autarcie, Stéphane Linou, qui dispense des formations pour les élus sur ce sujet, ne reste pas sans solution. « Il faut remettre en place des filets de sécurité alimentaire en reconstruisant des microbiotes alimentaires de territoires avec les producteurs, les transformateurs, les acteurs de la logistique, les consommateurs et les prescripteurs ». Sur ce dernier point, il évoque, les élus, les collectivités qui peuvent agir à travers la commande publique, les documents d’urbanisme, ou encore les Projets Alimentaires de Territoire, comme c'est le cas sur notre territoire avec le PAT du Perche coordonné par le Parc. Dans la continuité, Stéphane Linou appuie sur la notion de « planification alimentaire », sur le fait de quantifier et d’organiser une partie des besoins alimentaires des populations. Et offre une perspective : le Plan Communal de Sauvegarde : un outil réalisé à l'échelle communale autour de la prévention des risques en cas d’événements majeurs. « Ce document existe ! Il est obligatoire pour les communes soumises à un risque majeur (inondations, Seveso…) et il peut être enrichi avec le risque de rupture d’approvisionnement alimentaire 2. De nombreuses communes en possèdent un. Il suffit de l'enrichir de risques alimentaires ». En d'autres termes, de se projeter dans une situation de rupture alimentaire, comme ce fut le cas dans l'atelier de simulation (cf article ci-dessus), et de déterminer, de penser en amont la façon de s'organiser afin de réduire les effets d'une telle crise.
Et de conclure : « Dans dix ans, la moitié de nos agriculteurs partiront à la retraite.... Si on ajoute à cela l'artificialisation des sols, le réchauffement climatique, la montée des eaux.... Ne pas produire une partie de notre nourriture près des lieux où l’on consomme, ce n’est plus sage du tout, car acheter loin ce que l’on devrait produire sur place fabrique de l’insécurité localement car on détricote nos infrastructures nourricières ».
Quelques mots sur Stéphane Linou
Ancien Conseiller Général de l'Aude, pionnier du mouvement Locavore en France, auditeur de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale), conseiller en développement local et en gestion des risques, formateur à l’Institut Supérieur des Elus... Stéphane Linou décrit depuis de nombreuses années les diverses vulnérabilités de nos systèmes alimentaires, aujourd'hui mises en lumière par le COVID et le contexte ukrainien. En juin 2019, il publie un livre-enquête issu d’un mémoire de recherche de master spécialisé en gestion des risques sur les territoires, intitulé « Résilience alimentaire et sécurité nationale ». La conférence du 30 mai s'appuie notamment sur ces recherches.